extrait :

Kow-Laz-Noz

 

texte de pochette :

« Je ne chante pas pour passer le temps, expliquait Annick Nozati, je suis une sauvage de scène, mais j'ai aussi une voix plus profonde et calme — même quand je fais des cris, des sons de désespoir ou de colère, une espèce de plain-chant qui peut devenir un orage, un cataclysme... ». Quelques mois après ces enregistrements aux Instants Chavirés, la chanteuse allait décéder, vicitime d'une crise cardiaque. « À la balance son de ce concert, se souvient Daunik Lazro, Annick était grave, elle savait que son mari allait bientôt mourir. Elle m'a dit quelque chose comme "je ne suis pas venue pour pousser la chansonnette". Cela s'entend ! ». Tout en multipliant les activités pédagogiques, elle avait joué avec Gérard Marais, Didier Levallet, avec Joëlle Léandre et Irène Schweizer, avec Fred Van Hove et Johannes Bauer, avec Lazro, puis avec MIchel Godard, Barre Phillips, Peter Kowald...

« Ce que j’aime le plus à la basse, disait l'homme de Wuppertal, c’est pouvoir m’associer à des chanteurs — pas seulement les accompagner, mais se situer quelque part où l’on peut vraiment s’intégrer ». De fait, outre avec la Française, Kowald a longtemps entretenu des relations soutenues avec des chanteurs et chanteuses au fort tempérament : Sainkho Namtchylak, Diamanda Gallas, Yildiz Ibrahimova, Jeanne Lee, Beñat Achiary... « J’ai joué avec des chanteurs transsibériens à Tuva, avec Charles Gayle et Rashied Ali à New York, avec des musiciens africains en Afrique, avec des musiciens japonais au Japon. Et j’ai toujours aimé ça. Peut-être que pour un Allemand ayant une tradition brisée, l’une des solutions est d’être un musicien voyageur... ». Il fut aussi l’un des rares improvisateurs européens radicaux à favoriser les collaborations régulières avec des musiciens noirs américains, tels que Danny Davis, Frank Lowe, Jimmy Lyons, Julius Hemphill, Kidd Jordan, Fred Anderson, etc.

Une jazzitude également revendiquée par Daunik Lazro, à travers ses complicités et assocations avec Oliver Johnson et Muhammad Ali (via Saheb Sarbib), Dennis Charles, George Lewis ou Joe McPhee (« nous avons un dieu commun, disait-il en compagnie de ce dernier, c'est Coltrane ! »), tout en défrichant d'autres territoires escarpés avec Jean-Jacques Avenel, Siegfried Kessler, Jean Bolcato, Michel Doneda, Carlos "Zingaro”, Evan Parker, Jac Berrocal, Joëlle Léandre, Paul Rogers, Phil Minton, Benjamin Dubosc, Didier Lasserre ou les Kristoff K.Roll. Il raconte que la veille de ce concert à Montreuil, Kowald l'avait invité pour un duo en Italie. Durant le long trajet du retour dans sa camionnette sur les autoroutes enneigées, ils avaient surtout écouté de la musique : des inédits d'Ornette Coleman avec Dewey Redman et d'Ayler avec Cecil Taylor et Lyons.

La morceaux de ce CD sont présentés dans l'ordre du concert et se décomposent avec bonheur en deux trios, trois duos (pas si doux) et un très émouvant solo ("L'invisible”) de la chanteuse où l'on retrouve ce « «chant profond » évoqué plus haut. Dans les groupes, l'expressivité et la synergie des trois protagonistes sont à leur zénith, la musique est d'une puissance poétique incomparable. C'était la première et unique rencontre de ce trio. Un document exceptionnel.

Gérard Rouy, juillet 2014


critiques :
Jean-Michel Van Schouwburg
12 septembre, 13:13

Chronique d'un disque cd FOU FOU FOU FOU ( comme l'improvisation totale)
produit par Jean-marc Foussat ...
Peter Kowald – Daunik Lazro – Annick Nozati instants chavirés FOU Records FR CD 07
Groupe “de circonstance” et rencontre de fortes personnalités enregistré en février 2000 à l’espace des instants chavirés dans la banlieue parisienne peu avant la disparition inopinée de deux d’entre eux (Nozati et Kowald), cet album “FOU” est vraiment FOU ! Personne ne s’attendait à ce que sorte un jour un témoignage aussi vivant de l’art d’ une chanteuse – actrice inoubliable, d’une véritable bête de scène, Annick Nozati et en compagnie de deux des plus purs camarades de l’improvisation totale, deux irréductibles : le saxophoniste baryton et alto Daunik Lazro , pilier incontournable de la scène hexagonale et le contrebassiste Peter Kowald, globe - trotter infatigable dont le cœur a lâché , trop tôt. L’enregistrement ,réalisé par Jean Marc Foussat, reproduit fidèlement le développement du concert en duos et trios avec au milieu un solo absolu de la chanteuse. C’est bien le meilleur souvenir que je garderai d’elle avec ses incroyables gesticulations , éructations et murmures en compagnie du pianiste Fred Van Hove , il y a… 30 ans à Bruxelles et ce bel album solo « La Peau des Anges » publié par Vandoeuvre. Annick avait une voix très puissante qu’elle poussait jusqu’au cri désespéré en glissant immédiatement de l’explosion du larynx au sussurement intimiste d’une seule portée de voix. Une maîtrise supérieure de l’organe vocal et une résistance… au propre et au figuré ! Parfois , suite à l’excès durant quelques minutes enfiévrées et vécues comme si ça vie en dépendait, le timbre de sa voix se fêlait ensuite légèrement. Mais jamais on ne l’entendait lâcher le port de sa voix et le son. Un phénomène transfuge du théâtre qui ayant dû se mettre à chanter /vocaliser pour des créations dramatiques , s’est révélée une improvisatrice , une chanteuse, une sorte de cant’actrice… Annick Nozati c’est plus que de la musique, qu’une « porteuse de projet », un C.V. , une discographie etc.. C’était un être vivant qui ne s’encombrait pas de faux semblant ni de demi-mesure. On pense à son amie Maggie Nicols avec qui elle partageait cette faconde insatiable et un véritable sens pédagogique avec quiconque se présentait et essayait de musiquer. Bref, elle n’était pas coincée. Elle exprimait la rage et la raison, une extrême spontanéité et une réflexion profonde, le babil couineur et forcené ou l’art du crescendo dans la nuance avec une voix qui ne devait rien à l’entraînement vocal d’un genre musical défini. Derrière la folie audacieuse, une maîtrise impressionnante, même si sa tessiture ne lui permettait pas de faire le rossignol du sol aigu. Et avec tout ça, pas de systèmes, de schémas, de balises, rien que du pur jus, celui du peuple des marchés et des manifs. Bien sûr , je me rappelle les réflexions de collègues germaniques tâtillons et sérieux que ses débordements expressionnistes terrorisaient. Mais quelques géants de la scène improvisée étaient pleins d’admiration pour son art unique. Le pianiste Fred Van Hove (pianist number one in free improvisation) fit équipe avec elle depuis 1983 jusqu’à sa mort qui advint malheureusement trois semaines après ce gig. Fred et Annick enregistrèrent plusieurs albums communs. En duo : Uit sur Nato (LP) et en trio avec Fred et Hannes Bauer sur les labels Amiga (LP) et FMP CD (Organo Pleno). Peter Kowald et Daunik Lazro étaient parmi ses camarades inconditionnels et, dois- je le noter (?), Kowald joua un rôle primordial dans la découverte de cette autre chanteuse exceptionnelle : Sainkho Namchylak. J’aime aussi beaucoup ce disque car on entend Daunik Lazro fragmenter des boucles à l’alto de manière super réussie et les pousser de son souffle intransigeant. Dans le premier morceau, son baryton s’ébroue dans des harmoniques et un grain pictural reprenant le point de vue plastique sonore d’un Brötzmann de manière profondément originale, non saxophonistique. La vie quoi !! En trio, les musiciens évoluent avec une indépendance individuelle assumée : vitesses , débits , intentions, émotions différentes dans une véritable cohérence scénique, gestuelle, spatiale et imaginative. L’appel à l’imaginaire, au secret , à la poésie est intense. J’aime aussi ce disque parce que c’est une aventure d’un soir assumée jusqu’au bout des doigts, de l’archet, du gosier et du bec. Et pour finir , je dirai que Peter Kowald n’a jamais aussi bien joué qu’à la fin de sa carrière. Ici il crée un véritable espace pour laisser la voix humaine se mouvoir en toute liberté. Comme FOU vient aussi de publier un quartet de Derek Bailey Joëlle Léandre George Lewis et Evan Parker à Dunois en 1982 et des collaborations de son responsable, Jean Marc Foussat avec Joe Mc Phee, Ramon Lopez et Evan Parker, je décrète que ce label FOU est à suivre à la trace. FOU FOU FOU , FOU je vous dis ! Que vive la folie et que se taise les rabat-joie formalistes et autres rats de conservatoire. L’art conversatoire de Nozati nous-a-dit ce qu’il fallait entendre : la VIE !!


PETER KOWALD, DAUNIK LAZRO & ANNICK NOZATI / Instants chavirés (Fou Records)
Un autre document d’archive inédit signé Fou Records. Cette fois, un concert enregistré en février 2000, soit cinq mois avant la mort de la chanteuse Annick Nozati. Celle-ci déploie ici un style théâtral qui oscille entre le chant lyrique et le cri primal, particulièrement frappant dans “L’invisible”, un solo de 15 minutes. Le reste de l’album propose trois duos et deux trios. Le tout est intéressant, mais pas aussi captivant que le disque précédent. Certains moments m’ont choqué par leur gratuité. Cela dit, c’est loin d’être un mauvais disque et, clairement, il s’agit d’un document d’intérêt historique, la discographie de Nozati étant plutôt courte.
Another previously unreleased archive document from Fou Records. This time it’s a concert from February 2000, five months prior to singer Annick Nozati’s death. Nozati used a theatrical style of extended singing that ranged from operatic singing to primal scream, and the 15-minute solo included here, “L’invisible”, is riveting. The rest of the album consists in three duets and two trios. It’s an interesting performance, but not as captivating as the quartet reviewed above. In fact, some moments sound shockingly gratuitous to me. That being said, this is not a bad record at all, and it definitely has historical value, for Nozati’s discography is rather short.

Monsieur Délire


Peter Kowald, Daunik Lazro, Annick Nozati : Instants Chavirés (Fou, 2014)

peter kowald annick nozati daunik lazro instants chavirés

Tout était élevé ce soir-là aux Instants Chavirés de Montreuil. La voix d’Annick Nozati transperçait la matière. Sa voix peau-rouge visait mille cœurs. Daunik Lazroétait cet inépuisable cavalier des hautes plaines. Et Peter Kowald décochait sans compter. Ce soir-là, tous trois étaient indiens et pas un seul visage blanc pour les importuner.

Le chant d’Annick N. est pour beaucoup dans ce disque-sorcier. Ici, l’âme et la tripe. Le chant profond. La source de vie. L’âme dévoilée.  Les entrailles mises à nu. Un certain Daunik L. zébrait son souffle. De l’entendre au baryton (depuis peu au ténor), on en avait oublié combien son alto était étoilé, constellé. De son côté, Peter K. activait son jazz naturel et spontané. Parfois les indiens se firent planètes folles. Puis retrouvèrent tendresses et cérémonies. Grand disque tout simplement.

Peter Kowald, Daunik Lazro, Annick Nozati : Instants Chavirés (Fou Records / Metamkine)
Enregistrement : 2000. Edition : 2014.
CD : 01/ Laz Noz 02/ Kow Laz Noz 03/ L’invisible 04/ Laz Kow 05/ Kow Noz 06/ Noz Laz Kow
Luc Bouquet © Le son du grisli



annick nozati / peter kowald / daunik lazro
instants chavirés
fou recordsfrcd07
distribution : metamkine
cd
Je me souviens des années où Jean-Marc Foussat venait installer ses micros aux Instants Chavirés. Dans le coin droit à côté de la scène, casque sur les oreilles, il restait immobile derrière son enregistreur Tascam DA 38.
Il arrivait parfois au dernier moment. Il paraissait venir, presque par obligation, alors que rien ne l'y obligeait. Ou bien, pour cet accro de l’impro, était-ce un alibi pour être au concert tous les soirs ?
Si on ne savait pas pourquoi il était là. Maintenant, on sait ! On doit à cette présence assidue dans le club montreuillois la possibilité d'entendre sur disque ce concert du 17 février 2000 du trio Daunik LAZRO, Peter KOWALD, Annick NOZATI.
Et si nous pouvons nous "nostalgiser" en regrettant que nous n'entendrons plus jamais ce trio, que cette formation ne pourra malheureusement plus exister 14 ans après, il s'agit surtout de jubiler du CD d'un concert "énorme" par ces trois monstres de l'improvisation libre.
Le découpage en six plages suit le cheminement du concert, et jalonne l’écoute, avec trois duos (les trois combinatoires possibles entre Laz, Kow et Noz) deux trios, et un solo d’Annick Nozati.
Le cheminement musical est constamment très précis dans une esthétique propre à un certain style d’improvisation qui les réunis : la générosité du son, un lyrisme, un sous texte parfois jazz, une rage volcanique, alternant avec une tendresse caressante.
En écoutant ces six chants, on peut pleurer, rire, recevoir une flèche (d'un angelot d'amour ou au curare), se sentir grisé par les sons qui filent si vite, ou aller subitement casser la vitrine de la banque du coin.
Pour cette captation, j’apprécie un très beau grain de sax, une belle rondeur de la contrebasse, et une voix bien ancrée dans l'acoustique du club des Instants chavirées.
Néanmoins certains choix m'échappent : une contrebasse agréablement très large, mais qui rend le sax du coup un peu étroit.
j-kristoff camps
03 décembre 2014

Peter Kowald, Daunik Lazro, Annick Nozati (Instants Chavirés fev 2000)

Lorsque sa voix s'élève en tout début de disque, un mouvement de recul : aurions-nous droit à une musique de vocaliste ?
Puis très vite, cette impression s'estompe. L'expression trouve sa place au sein de chants ténus, murmurés, de cris véhéments ou désespérés, de longues mélopées, de récitatifs, de mantras ou de prières amérindiennes. Dés la première piéce, Annick Nozati nous plaque contre le mur, nous laissant "sonnés", sommés de tout lâcher tant sa sensibilité laisse peu de place à l'écoute flottante. Et dans la 3eme, son solo, de près d'un quart d'heure, parachève cette impression avec une sorte de pièce chantée-parlée, aux paroles indistinctes mêlées de cris, de sussurements, de balbutiments, avec une énergie ravageuse.
Je ne la connaissais pas. Elle a disparu en juillet 2000, cinq mois après ce concert enregistré aux Instants Chavirés par Jean-Marc Foussat. A présent, il reste les disques, et celui publié par Fou Records vient planter une banderille dans nos mémoires.
Un autre disparu figure aussi sur ce disque, Peter Kowald. Souvent à l'archet, il enchevêtre ses ronflements, ses bourdons lascifs ou enfiévrés, ses chants à ceux d'Annick Nozati.
Une mention très spéciale pour le troisième homme : Daunik Lazro. Cette belle figure de la musique d'aujourd'hui nous rappelle qu'elle n'est pas surgit du néant. Il extrait des textures sonores d'une variété, d'une efficacité, d'une expressivité impressionnantes. Son énergie, son inventivité lui permettent d'être toujours sur le fil des émotions, d'étriller notre sensibilité. Ses fulgurances nous saisissent.

Fou Records met à notre disposition un extrait de cette musique : "Laz Kow" (et Noz ?! à moins que les mystères des grottes ...)

Lire une chronique passionante écrite semble-t-il par quelqu'un qui était là, ce 17 février 2000, Jean-Michel Van Schouwburg

Fou Records FR - CD 07

D'autres chroniques sont disponibles sur le site de Fou Records .

Retrouvez toutes les chroniques "CD etc.".

Guy Sitruk


PETER KOWALD / DAUNIK LAZRO / ANNICK NOZATI – Instants Chavirés

By Massimo Ricci December 8, 2014

Fou

Peter Kowald: double bass; Daunik Lazro: alto and baritone saxes; Annick Nozati: voice

It feels strange, having to exercise the adjective “late” in mentioning two protagonists (Kowald and Nozati) of this unique concert, captured on tape in 2000. Of course, “late” can also render a concept of recentness or hurriedness (perhaps to give birth to something important): exactly what’s originated by this music’s realistic urgency, even fourteen years from the event. More strikingly, Annick Nozati – in a way the effective “star” of the album, the lone participant featured in a prolonged solo – would leave the big stage of existence just months after this exhibition. “I didn’t come to push the chansonette” (*), she once told to Lazro; we had no doubt.

Aside from the unaccompanied episode, Nozati’s theatrics shine throughout a series of duos and trios, offering a continued study in contrast between attitudes, from melodious to desperate, which demonstrates a somewhat desolate nakedness in front of any impulse she chose to indulge in: an unending ritual of purification. One can’t help but noticing the slight influence of certain “operatic” hues on the vocal outpourings emitted by Joëlle Léandre, a frequent collaborator, during the latter’s solitary improvisations to this day.

On the other hand we have Lazro’s symmetrically obstinate aesthesia, an insusceptible calmness escorting his phrasing across intricate evolutions. A flick of the switch allows the reedist’s melodic incorruptibility to spread around impressively, flurries of life-sustaining strength attesting a reputable iron will. Circles and spirals built upon three or four pitches – with all the microtonal inflexions living inside – acquire momentum in the space of seconds.

Kowald is particularly magnificent when superintending Nozati’s flights in “Kow Noz”, protecting the voice with obsessional tremolos and bewitching grumbles, punctuating the singer’s cartoon-like babbling with sharp sentences, barely controllable and equally dissonant. Similarly to his companions, the bassist seems to ignore the meaning of “strategy”; whatever was born from those fingers, whatever the arco decided to extract from the wooden box, a feeling of effortless improvement of the surrounding air molecules remains.

Ethical pureness, undomesticated artistry, musicality from each and every gesture. Precious stuff from a time when improvisers were still interested in persuading audiences rather than attempting to seduce magazine publishers.

(*) “Chansonette” is not exactly translatable into English, instead corresponding to the Italian “canzonetta”. Both terms indicate popular songs characterized by a high percentage of unendurable shallowness, when not out-and-out imbecility. Basically, what the record industry mob thrived upon before finally incorporating the so-called “cultured” segments of local songwriters, ultimately kicking them into the auditoriums to act like messiahs for the herds of worshipful simpletons.


Kowald / Lazro/ Nozati - Instants Chavirés

18 janvier 2015

Kowald / Lazro/ Nozati - Instants Chavirés

Le label Fou Records de Jean-Marc Foussat s'est spécialisé récemment dans la redécouverte de pépites plus ou moins anciennes, mais souvent mythiques de la musique improvisée européenne. On a en mémoire le concert capté en 1982 avec George Lewis et Joëlle Léandre au mythique théâtre Dunois sorti récemment ; voici avec Instants Chavirés, du nom du festival Montreuillois un concert plus récent, mais de ce siècle, enregistré au début des années 2000.
Le Trio qui enregistre ce concert il y a quinze ans a beau être plus proche de nous, la plupart des musiciens qui le compose ont disparu. Ne reste que Daunik Lazro, plus vivant que jamais. Ce disque permet de constater d'ailleurs que si son style si caractéristique a peu évolué sur cette quinzaine d'année, il s'est considérablement affiné.
Le contrebassiste  Peter Kowald est décédé en 2002. Sa carrière, de Lol Coxhill à Peter Brötzmann, a cartographié la musique improvisée européenne.
Le contrebassiste a un jeu plein, nerveux, orageux, qui s'allie à merveille à l'alto et au baryton de Lazro. Le morceau "Laz Kow" en témoigne : le jeu du contrebassiste est souple, il accompagne les petits bonds du saxophone dans un étourdissant jeu d'évitement. Chacun insiste dans sa propre direction, effleure, provoque, bouscule parfois mais sans jamais entrer en collision.
Les longues improvisations sont le théâtre des convergences entre ces deux improvisateurs qui n'enragent jamais.
On reconnaît très vite cette capacité qu'à Lazro à dessiner des étendues rugueuses et désertiques sur lesquelles ses comparses peuvent bâtir toutes sortes de paysages luxuriants. Nous ne sommes pas avec Kowald dans la puissance terrienne que peut développer un contrebassiste comme Benjamin Duboc.
Il n'y a pas non plus cette présence tellurique d'une Joëlle Léandre. Il y a avec ce contrebassiste comme une prestance frémissante qui se retrouve également dans "Kow Laz Noz", l'un des deux morceaux où le trio est réuni.
Ici, la main glisse sur les cordes et tressaille avec douceur. Le bruit et la fureur, c'est la chanteuse Annick Nozati qui l'apporte. Kowald comme Lazro sont deux musiciens qui aiment se mesurer à la voix.
Nozati est la voix. Le cri. Presque primal parfois.
Le troisième tiers des Diaboliques, trio mythique qui réunissait Joëlle Léandre et Irène Schweizer est le centre physique de ces instants chavirés. Elle arrive dans ce morceau sur la pointe des pieds d'abord, de sa voix pleine et lyrique, et puis elle bouscule. Elle emplit l'espace, le déchire. Le culbute. Oblige Lazro à se faire plus anguleux. Et puis elle joue avec les mots, avec les consonnances, avec la gorge aussi, parfois. Elle s'enchevêtre dans les cordes de Kowald, fait feu de chaque bruit.
Dans "Laz Koz", le morceau inaugural où elle est en duo avec Lazro, on constate, avec le recul, la proximité vocale entre Nozati et Léandre. Cette capacité à renverser la table, à jouer de tous les sons mais aussi cette volonté de trouver la poésie et la douceur en toutes choses, même les plus drues.
Une douceur qui peut mener jusqu'au silence dans cette belle pièce solitaire "L'invisible" qui vous chamboule totalement.
C'est peut être le dernier concert d'Annick Nozati qui mourra quelques mois plus tard. Elle qui a longtemps conçu la musique comme un second air à respirer, elle semble donner ses dernières forces dans ce dessein collectif. C'est ce qui en fait sa forte composante nostalgique, au delà de la qualité de ce concert, qui plonge avec tumulte et lyrisme dans les turbulences de la musique improvisée européenne.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...