à propos de Concerto Grosso de Joëlle Léandre

“Si Joëlle Léandre se définit comme une ‘chambriste’, adepte des petites formes et de l’écriture intuitive, son parcours en solo a lui aussi toujours été vécu comme une conversation, dans l’espace intime qui lie l’instrumentiste à ce corps à cordes, la contrebasse. Sa discographie en a déjà témoigné, mais ‘Concerto Grosso’ offre une vision fulgurante de ce cheminement … dans son âpreté, sa hargne, ses tourments aussi, intrinsèques et luminieux. Quatorze pièces enregistrées en concert, d’une rare concision dramatique, avec un lyrisme empreint à la fois de fougue et de pudeur. Développant des motifs mélodiques ou rythmiques, qu’elle entrelace ou heurte en de multiples éclats ou ruptures, elle tisse chacune de ses pièces sans en perdre le dessein, jusque dans les éclats vocaux qui se font jour ou les murmures invitant au silence. Joëlle Léandre saisie toute l’ampleur dynamique de la contrebasse pour en livrer la profondeur du chant, avec une rage amoureuse à dompter l’instrument, sans cesser pour autant d’en explorer la matière sonore. L’attaque est souveraine, que ce soit à mains nues ou à l’archet, pour offrir une plénitude du timbre, dévoiler la luxuriance des textures (écoute et capture décisives de l’ingénieur du son Jean-Marc Foussat). Après presque trente ans sur les routes, à défricher inlassablement de nouveaux territoires, Joëlle Léandre signe avec ‘Concerto Grosso’ un manifeste de désir musical et de résistance épanouie.”

Thierry Lepin dans JAZZMAN, décembre 2005


“Un double cédé de contrebasse solo ! Rassurez-vous, il ne faut pas s’en effrayer. La musique de Joëlle Léandre s’étale en quatorze pièces pour un total de 87 minutes. Chaque morceau de sa composition développe une idée et une atmosphère autour de deux ou trois notes (Dans le Sol), d’une cadence ou d’une technique instrumentale particulière, avec beaucoup de passion et de vie. Trois pièces dépassent les neuf minutes. Il y a un engagement physique et un brin d’humour, et comme toujours une «parlotte», comme celle de l’avant-dernière plage du second cédé. A l’écoute de «Parlotte», on se dit que Joëlle Léandre est aussi une véritable comédienne, ce qui donne une autre dimension à ses performances solos. C’est d’ailleurs lors de deux concerts consécutifs au Gasthof Heidelberg, situé à Loppem (Flandre Occidentale), les 29 et 30 janvier 2005, que furent enregistrés ces deux remarquables suites. La prise de son réalisée par Jean–Marc Foussat est excellente. Elle met bien en valeur la richesse du coup d’archet, et tous les sons produits par le maniement de la contrebasse, ainsi que le chant de Léandre qui pointe de temps à autre, comme pour encourager ses propres efforts. «Concerto Grosso» défend, par l’exemple, l’idée d’un artisanat musical acoustique et l’expression du geste musical dans ce qu’il a de pur et généreux, comme le savoir faire amoureux d’un ébéniste ou d’un luthier. La variété des pièces et leur agencement les unes par rapport aux autres facilite l’écoute, surtout celle des moins avertis. Ma préférence va aux pièces à l’archet. L’itinéraire de notre contrebassiste, à travers ses improvisations «composées», a le goût de la musique populaire authentique. Le tempérament de la «dame» transparaît dans ses emportements, jusqu’à en oublier la préparation minutieuse à chaque étape. «Concerto Grosso» n’est pas le premier coup d’essai de Joëlle Léandre: «Urban Bass», «No Comment», «Live At Otis». Néanmoins, ici, il s’agit sans aucun doute du portrait le plus complet de la musicienne. Un album attachant, traversé de vraies émotions, à recommander, et pour lequel on peut féliciter l’association entre Locus Loppem et Jos Demol, infatigable défenseur des musiques improvisées et ancien rédacteur en chef du regretté «Jazz’Halo». En effet, combien de producteurs belges se risquent sur ces terres là? Pour ceux que la contrebasse solitaire intéresse, je signale aussi l’existence de deux autres opus majeurs : «Journal Violone 9» de Barre Phillips (Emouvance) et «Listen» de Paul Rogers (Emanem), deux contrebassistes qui résident en France: musiques graves et légères à la fois.”

Jean-Michel Van Schouwburg dans JAZZAROUND Nr 14/2006