extraits :

 

Pale Fire

Oh, You Beautiful Doll (Flessenlied)

     

Enregistré en concert à une période charnière de son existence, cet Angoulême 18 mai 1980 est un splendide témoignage du Willem Breuker Kollektief, un orchestre phare du nouveau jazz européen. Fondé en 1974 pour mettre en musique les idées musicales et sociales de Willem Breuker, le WBK rassemblait de jeunes musiciens intéressés par la free music naissante d’alors et avec un solide bagage musical, devenus bons lecteurs et fédérés par un sens collectif à toute épreuve. Comme l’avait alors expliqué Breuker, une partie de ses musiciens étaient en quelque sorte ses élèves, et il comptait tirer parti de leurs qualités individuelles même si au départ plusieurs d’entre eux n’étaient pas des improvisateurs « totaux » d’envergure comme pouvaient l’être à l’époque ses collègues, les Bennink, Mengelberg, Maarten Altena, Evan Parker, Derek Bailey, Fred Van Hove, Brötzmann et cie.  Mais le WBK des débuts pouvait compter sur des piliers très doués et expérimentés tels que le bassiste Arjen Gorter, le pianiste Leo Cuypers et le tromboniste Willem Van Mannen, auteur de deux intéressants morceaux de ce double cd, Pale Fire et Big Busy Band. Il est certain que Gorter eût fait une belle carrière en free-lance sur les scènes de la free-music européenne. Breuker et lui avaient travaillé avec Jeanne Lee et Gunther Hampel entre 67/68 et il n’était pas rare d’entendre le bassiste avec Louis Moholo, Irene Schweizer, Han Bennink et consorts.  En phase avec le Einheit Frontslied enregistré par Brötzmann-Van Hove-Bennink en 45 tours et les compos du Globe Unity, un superbe Live in Berlin du WBK publié conjointement par SAJ et BVHaast, le label breukérien. Cet album fit les beaux jours des amateurs des années 70 avec sa musique endiablée faite de riffs assez dissonnants martelés par la batterie de Rob Verdurmen, écumant la satire et le clin d’œil par tous les pores. Piochant dans l’esthétique de Kurt Weil, sur l’œuvre duquel WB faisait autorité, ses arrangements convoquaient curieusement, les musiques populaires (cirque, marches, tango), les innovations des minimalistes et le free-jazz expressionniste, alliant puissance et subtilité. En  mai 1980, le pianiste Henk de Jonge a remplacé Leo Cuypers et le corniste Jan Wolff avait quitté le navire, mais le trompettiste Andy Altenfelder ne les avait pas encore rejoints. Aussi la musique s’est un peu plus rapprochée du jazz avec des arrangements plus travaillés et le groupe s’est taillé une réputation explosive. Ce ne sont pas moins de 4000 personnes qui assistèrent à ces concerts d’Angoulême et ce public leur fit des rappels déchaînés. Jean-Marc Foussat, le responsable de FOU, en a tiré une image son relativement correcte. J’écris image car, il fallait avant tout être présent pour saisir toute la dimension théâtrale de la musique et écarquiller les yeux face aux gags scéniques plus drôles les uns que les autres. Le Kollektief fit le tour du monde et joua pour les foules dans des festivals destinés au plus large public, comme le Mallemunt sur la place de la Monnaie à Bruxelles. Comme pour Sun Ra, ses musiciens lui furent fidèles jusqu’à la disparition de Breuker et le WBK continua encore à se produire par la suite. La musique de Sun Ra et son Arkestra et ses enregistrements ont acquis un public très large si on considère le flot de rééditions et inédits en vinyleet cd’s. La musique du WBK se veut tout aussi populaire, et il serait temps que des enregistrements tels que celui-ci soit mis dans de bonnes mains pour l’édification des jeunes générations. FOU records est en train de tracer une belle série d’incunables avec cette parution historique qui fait suite à Live aux Instants Chavirés (Kowald Lazro Nozati) 28 Dunois juillet 82 (Bailey Léandre Lewis Parker). Fort à parier qu’il y aura encore d’autres surprises aussi intéressantes quand on sait le travail quasi systématique de prise de sons de Jean-Marc Foussat durant les années 80.

Jean Michel Van Schouwburg


02 octobre 2015

Willem Breuker Kollektief - Angoulème 18 mai 1980

L'excellent papier paru sur Citizen Jazz de mon camarade Nicolas Dhourlès sur le label Fou Records, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler à multiple reprises dans ces pages, nous informe précisément sur la genèse de ce label et la personnalité hors norme de son instigateur –on a envie de dire son fomenteur, tant est vive la montée en puissance du label- Jean-Marc Foussat.
Il y a sur ce label, certes, les nouveautés dont nous avons l'occasion de parler, des disques de rencontres du maîtres des lieux aux ouvertures à la jeune scène Free et approchante. Et puis il y a ce qui en fait sans doute tout le charme : l'ouverture à pas comptés, gourmande, des archives de l'Ingénieur du son Foussat, qui a enregistré bon nombre de concerts, suivis bon nombre d'artistes, mis en son bon nombre d'expérience...
Pour des amoureux du disque comme nous, c'est comme laisser la clé sur l'armoire à confiture.
On avait eu l'occasion, avec un concert enregistré Rue Dunois en 1982 de Joëlle Léandre et George Lewis entre autre, de se familiariser avec le design sobre, qui rappelle le feutre manuscrit sur les boites des bandes magnétiques. Ici, c'est un concert capté en 1980 que nous propose Fou Records. Un document hors du commun qui documente une période peu riche en disque d'un groupe mythique, matrice de nombreuses grandes formations, le Willem Breuker Kollektief (WBK) et sa folie en concert et sa dynamique incroyable que Jean-Marc Foussat restitue avec une fidélité émouvante, puissante, en un double album qui fait le choix de garder les réactions du public, les éclats de rire, les cris... Tous les ingrédients du parfait happening.
Car un concert su WBK, et ce n'est pas les excellentes notes de pochette de Jean Buzelin qui disent le contraire, était un « choc » théâtralisé et furieusement libertaire. On en aura ici la certitude avec « Marche & Sax Solo with Vacuum Cleaner » où un aspirateur tente d'ordonner le chaos ambiant gentiment rigolard.
Le net regorge de captations vidéos de plus ou moins bonne qualité du WBK, et comme j'avais 6 ans lors de ce concert et que l'orchestre est né en même temps que moi, c'est la seule façon qu'il m'a été donné d'en connaître l'âge d'or avec les disques. Nous sommes plusieurs dans ce cas : le tromboniste Fidel Fourneyron a été converti au jazz par l'explosif In Holland qui date des années 70.
Un concert du WBK, c'est un cri de joie. Ce cri perdure dans le temps et ne semble pas avoir de limite. Il embrasse l'Histoire du Jazz et une touche de tradition fanfaronne dans un même mouvement avec une modernité saisissante. En entendant le multianchiste Willem Breuker dans le morceau fondateur « Tango Superior » qui part dans tous les sens sans perdre le fil, on pense évidemment aux orchestres parmi ses contemporains qui ont définitivement changé la face du jazz européen comme le Vienna Art Orchestra ou le Mike Westbrook Orchestra, et même l'Instabile Orchestra italien.
Le registre du WBK est plus « total », touche à d'autre discipline, notamment le théâtre, ce qui est à mettre en relation avec les collaborations régulières avec le cinéma de Willem Breuker avec le cinéma, ce qui le rapproche, à toutes choses égales, d'une formation actuelle comme le Surnatural Orchestra. On en a un exemple ici avec « Flat Jungle », un titre tiré d'une Bande Originale de Film et où le pianiste Henk de Jonge nous offre quelques détours et clins d'œil amusés vers Chopin.
Entre autre.
Le concert est une libération qui nous saisit immédiatement avec le « Pale Fire » écrit par le tromboniste Willem Van Manen, l'un des acteurs majeurs de cet orchestre permanent, l'une des puissante lame de ce nonet de feu cuivré qui éclabousse à plusieurs reprise de sa grande technique à l'instrument (notamment avec le très référentiel et jouissif « Big Busy Band », écrit par lui aussi, où il s'offre un solo remarqué qui sort d'une masse bouillonnante.).
Le concert démarre bille en tête, avec ce morceau qui semble avancer comme une vague ; ce qui frappe, c'est la fureur , qui n'est pas une rage, mais qui saisit totalement, des soufflants comme de la base rythmique. Roborative n'est pas le mot. Il faudrait dire énorme. Le batteur Rob Verdurmen s'offre des moments absolument jouissifs hors de la masse. Il relance, il souffle sur la braise, d'autant que l'enregistrement lui rend grâce (« Potsdamer Stomp »). Son alliance avec le contrebassiste Arjen Gorter, absolument parfait donne parfois à la musique du WBK quelques reflets lacyens, qui résonnent comme un chaînon manquant.
De loin, cette sortie inopinée est l'une des plus enthousiasmante de l'année. On attend avec une impatience à peine contenue que Jean-Marc Foussat ressorte quelque trésor de sa boîte à malice.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

99-Errance-Donibane

Posté par Franpi à 21:36